Devrait-il s'en émouvoir, lui, étranger de la ville, exilé de son pays natal qui cherche asile dans une terre inconnue ? L'histoire de Kelso n'est en rien celle qui l'inspire, qui le hante dans chacune de ses rêveries, ou chacun de ses souvenirs. Il n'est pas un enfant de la ville, et les sempiternels murmures qui perdurent dans l'ombre sur cet incendie ravageur ne l'atteignent guère, si ce n'est pour lui arracher un frisson d'horreur. Héritier de son éducation, il est celui qui ne cille guère devant les restes cauchemardesques de l'événement, silhouette imprenable au regard froid. C'est un mal qui ronge encore Kelso, si proche et pourtant si lointain ; les morts ravagés par l'incendie sont déjà tombés en cendre dans leur tombe et pourtant, leur calvaire reste palpable dans chaque esprit de la ville. C'est sensible, douloureux à la fois, obscurcissant la réalité avec noirceur. Dans une douleur qu'il connaît bien, transmise par le sang, engendrée par une culpabilité qui ne devrait pas être sienne. Etre leur, à ces habitants encore en vie, à ceux torturés par leurs souvenirs. Il n'est qu'un vagabond parmi tant d'autres, qui a eu vent, vaguement, avec indifférence, des affres secrets de la petite ville écossaise. Mais son Enfer à lui, il l'estime plus dévastateur encore que celui qui enchaîne chacun des esprits de Kelso.
C'est une punition qu'il ne méritait guère, fils poli et obséquieux, appliqué et volontaire qu'il avait toujours été. Son héritage était destiné à être tout autre, fait de grisants dangers, mais de fiertés à nul pareil. C'est un abysse solitaire et sans fond dans lequel il se perd à corps perdu, esseulé à cause de sa nouvelle nature, à cause du sang qui coule dans ses veines. Jamais la vie, les idées érigées avant même sa naissance ne le destinaient à ce cauchemar solitaire. A son estime, le souffle de liberté qu'il avait tant désiré, et qui lui est aujourd'hui offert de la manière la plus assassine qui soit, est un injuste revers de la médaille, une traitrise infinie du monde contre lui, contre ce qu'il s'est cent fois appliqué à devenir. Ce qu'il a été, trop longtemps dans son existence, toutes ces années sacrifiées pour une cause qui lui est désormais inatteignable. C'est dépendant de pulsions malsaines, d'actions scandaleuses et animales à outrances qu'il mène sa vie de solitaire, de banni. D'exilé, en ces terres si familières, dans lesquels il a été rejeté de toute appartenance.
Il n'est plus homme à émettre quelque avis que ce soit. Bucolique à souhait, simple et grisée par une quelconque chaleur, la ville de Kelso c'est l'asile qu'il a trouvé dans sa fuite. Dans cette volonté d'échapper à l'inexorable, qui a si longtemps alimenté ses pensées. Sa ville natale en est si près... et pourtant inatteignable, défendue. En quelques endroits de Kelso, il y retrouve quelques apparences semblables à ce qu'il a connu dans son enfance, à quelques kilomètres de là. Au combien il soit étranger à la ville, c'est une vague impression de familiarité qui l'anime dans cet endroit. Tout autant qu'il sait qu'il n'y a pas sa place, que son seul salut se trouverait dans les profondeurs du Tartare ou dans une fuite sans fin, il ne l'a pas encore quittée. Il déteste ses habitants pour la vie éminemment normale qu'ils y mènent, la simplicité de leurs futiles existences et ce quotidien palpable qui les guide. Kelso, c'est une vague illusion de sécurité, d'une vague appartenance à l'invisible, sans pour autant se condamner à l'errance. Un subtil sentiment d'être ignoré, dans les cauchemars déjà bien présents dans les esprits. Dire qu'il les connaît serait un doux euphémisme. Le nom qu'il porte en lui-même est prometteur d'un fardeau générationnel le hantant depuis trop longtemps. On dit que les O'Graddy avaient été, un temps, des habitants de Kelso, de furieux chasseurs aux idées extrêmes, aux pulsions tout aussi sauvages que celles des loups, instinctives et animales. Des coutumes transmises à chaque nouvelle naissance, il a tout appris de son père homme robuste et implacable, et les savoirs qu'il a si souvent mis à exécution, sans ciller, les pensées vénéneuses qu'il ressent contre sa propre personne c'est de celui-ci qu'elles viennent. Infiltrées dans son esprit à jamais, comme d'inlassables tortures qui s'imposent à ses songes. Tout autant qu'il fuit, il le sait, c'est pour irrémédiablement retarder l'inévitable, sa propre disparition à venir et ne pas craindre le courroux du père O'Graddy face à son fils déchu serait faire preuve de la plus grande imprudence.
Celui qui me fera le meilleur lap dance ?