Les sièges à l'arrière sont parsemés de quelques miettes. Elles savent très bien que maman n'aime pas les miettes sur la banquette arrière, sur les sièges avant non plus d'ailleurs. Maintenant que Neïlina y pensait, elle n'aimait pas les saletés tout court. Mais ce n'était pas grave, elle l'aimait quand même. Elle aimait Nikita aussi, et papa, et Pungo, Mamie, la collègue de papa qui lui donnait une sucette quand elle ne disait rien. Papa tourna à un carrefour en priant pour qu'il y ai encore de la place sur le parking du restaurant. Les jumelles étaient vêtues de robes d'un bleu pur, leurs cheveux tressés. Madame Selwym portait un tailleur noir avec un collier où une opale trônait majestueusement sans en faire trop. Elle avait toujours su égaliser les richesses, n'exposant pas tout, mais assez pour montrer qu'ils n'étaient pas qu'une famille Lambda.
"On est bientôt arrivés papa ?" demanda malicieusement la petite Nikita alors que Neïlina regardait pas la fenêtre.
"Oui ma puce, on est bientôt arrivés. Au fait Marion, ton patron a appelé ce matin et il..." "PAPA !", mais il est trop tard. C'est contre le rétroviseur de la voiture venant à leur droite que l'appel de la petite Neïlina résonna. Son visage claqua contre le pare-brise alors que le froid de la nuit et de la vitesse vint se plaquer contre ses cuisses et ses bras. Le bruit que produisait l'accident était épouvantable alors que tout se passa très vite. Les jumelles furent éjectés de la voiture, et leur trajectoire les fit filer au beau milieu de la route. Le visage de Neïlina rappa le macadam alors que ses jambes lui firent aussi mal que si elle était en train de s'embraser. Sa gorge est noué, son coeur affolé et elle ne comprend rien du tout. Neïlina entend Nikita crier alors que la voiture qui les a percuté fini sa course dans la vitrine d'un vendeur en téléphonie mobile. Neïlina n'arrive pas à respirer, elle s'est pris la portière sur le ventre et la poitrine, sa respiration est bloqué. Elle panique, ses yeux regardent tout autour d'elle aussi vite qu'ils peuvent alors qu'elle suffoque. Ses cheveux sont collés à son visage, les nattes ont disparus et de nombreux noeuds se sont formés. La robe est déchiré et sa gorge est poisseuse. Neïlina a mal aux poignets, aux cuisses, aux genoux, mollets, cou, front, épaules, bras, partout. Elle sent le sang cogner contre sa peau, elle entend chaque battement de son coeur et avant de tomber dans l'inconscience, ses yeux repèrent le ciel étoilé.
***
"Voici monsieur et madame Everleick. C'est chez eux que toi et ta soeur iraient habiter le temps que quelqu'un veuille vous adopter." la voix de l’assistante sociale est stérile, presque dénué de toute compassion. Ses années de travail lui ont surement appris qu'il ne fallait pas s'attacher aux orphelins, aussi gentils soient ils. Neïlina observe la grande maison de style victorienne avant de se tourner vers sa jumelle. Les ecchymoses sur son corps n'ont toujours pas disparus malgré les quelques semaines écoulées depuis l'accident. Nikita a les yeux rougis de par les larmes qu'elle a surement encore versé durant la nuit. Parfois Neïlina l'entendait, parfois c'était elle qui se faisait entendre. Les médecins avaient tentés de leur cacher le coma de leur père, prétendant qu'il reviendrait les chercher. Mais la mort cérébrale de ce dernier et les papiers autorisant le débranchement signés, ils n'avaient pas eu d'autre choix que de leur dire. Ça avait été rude, dur et pénible. Tout s'était passé si vite. Neïlina surmontait plutot bien la situation, s'autorisant quelques fois à craquer, mais elle devait rester forte. Pour sa soeur, pour Nikita, sa jumelle, la seule qui contera assez pour qu'elle puisse risquer sa vie pour sauver la sienne. Neïlina s'approche de cette dernière et lui serre la main, elle sait qu'elle a souvent été fatigué ces derniers temps, que les contusions auraient dû avoir disparus et qu'elle était plutôt pâle. Elle ne devait pas encore avoir totalement digéré la nouvelle et peu importe le temps que cela prendra, Neïlina sera toujours là pour elle.
Un bruit s'échappe du hall alors qu'une femme ayant la quarantaine se traîne dehors, accompagné de prêt par un homme à l'air de rapace. Il a un visage étrange, une aura étrange, une voix étrange
"Ce sont donc elles ?" dit la dame avec un sourire qui pue le mensonge.
"Oui, ce sont elles, je vous les laisse, j'ai encore plein de dossiers au bureau. Au revoir". Madame Everleick lui adresse un sourire entendu avant de demander aux deux jeunes filles de rentrer. Elles s’exécutent et ce que lorsque Neïlina sent la main de Monsieur Everleick dans le bas de son dos qu'elle sait que la première famille à les adopter sera le mieux.
Neïlina observe les volutes qui s'échappent d'entre ses lèvres alors que le froid hivernal s'éprend de son corps et de son être en entier. Elle tient la main chaude de Donan entre ses doigts et elle sait qu'elle ne le lâcherait pour rien au monde. En à peine quelques années il avait réussi à s'imposer comme l'une des personne les plus importe dans sa vie. Nikita resterait toujours en première position et il n'avait jamais essayé de la détrôner. Ils étaient bien ensemble, ils rigolaient, échangés et le temps qu'ils passaient tout les deux réussissait à faire oublier à Neïlina ses six ans passés chez les Everleick. Elle sait que jamais elle ne pourra totalement effacer ces années de sa mémoire et elle le voudrait tellement. Neïlina se souvient avoir été réticente les premières fois où des gestes affectifs avaient étés de rigueur entre elle et Donan. Tout simplement car ils lui rappelaient Monsieur Everleick, et qu'à ce moment là elle ne savait pas qu'ils pouvaient signifier autre chose que l'abus, la douleur et la force de la faire assouvir des besoins bassement humains.
Donan semble intrigué par quelque chose derrière elle. Neïlina demande de façon innocente, mais plus intrigué, de quoi il s'agit. Elle est un peu frustré lorsqu'il lui demande de se taire en lui posant son index sur les lèvres. Déposant un rapide baiser sur ce dernier, elle repose néanmoins la question. Quelques secondes passent et Donan ne semble plus d'avis à se promener dehors. Neïlina hausse les épaules et le suit alors qu'il a déjà commencé à marcher. Elle sent quelque chose contre son mollet et pense que ce n'est qu'une branche. Seulement lorsque la dite branche transperce le muscle, elle ne peut retenir un cri alors que sa jambe droite céde. Neïlina baisse les yeux vers sa jambe et un gémissement de douleur la parcourt lorsqu'elle tombe nez à nez avec son mollet a sang.
"Donan !", c'est la première chose qu'elle fait. L'appeler, elle aurait toujours le réflexe de l'appeler, lui et pas un autre. La jeune Selwym relève la tête, mais il n'est plus là. Elle s'apprête à le rappeler quand son dos s'affaisse sous le poids d'un chose inconnue. Elle tombe fasse contre terre sur le col glacé et sa jambe la fait souffrir, elle sent la chose bouger sur son dos et elle commence à trembler. De peur, de douleur, car plus ça bouge, plus ça transperce sa veste et plus ça lacère son dos. Elle a la gorge trop noué pour pleurer ou même appeler à l'aide, elle ne peut que gémir et suffoquer. La chair est à vif lorsque la bête s'effondre sur son dos, ses crocs rencontrant les entailles et lui laissant échapper un nouveau cri. Neïlina tremble de toute part et entend des pas au loin.
"Donan ?" murmure-t-elle, mais lorsque les voix s'élèvent et qu'elles se trouvent être masculines, Neïlina n'a d'autre réflexe que de puiser dans les dernières forces qu'il lui reste pour glisser hors de l'emprise du corps auparavant avachi sur elle et se traîne jusque dans un buisson, un endroit terreux où elle a froid et peur.
"Qu'est-ce qu'on a là ?" demande une voix alors que la jeune femme caché se replie sur elle-même.
"Un oméga, peut être un exclus d'une meute venant d'une autre ville. Il faudra faire plus attention les prochains temps. " dit une fois féminine et imposante. Neïlina y reconnait l'autorité. Le groupe traîne le corps un peu plus loin avant de prendre la poudre d'escampette. Neïlina reste là, apeuré, tremblante, le sang coulant moins lentement de sa plaie alors qu'elle sent quelque chose en elle. Elle sent la plaie s'auto-désinfecter, elle sent les bactéries se faire rejeter et ses griffures dans le dos se faire moins douloureuses. Mais qu'est-ce qu'il lui arrive ?
Cette chose en elle, elle sait enfin lui donner un nom, une sensation, une force qu'elle n'a pas envie de lui donner. Elle n'est qu'un monstre, un monstre pitoyable qui a faillit tuer son petit ami. Alors Neïlina s'est exilé, durant quelques mois, le temps d'apprendre seule à le contrôler. Il était hors de question de le dire à qui que ce soit, on l'enfermerait et le monstre ferait plus de morts et de bêtises qu'autre chose. Neïlina ne pouvait pas lui offrir une telle chance de faire d'elle une immondicité de la nature. Alors elle s'était réfugié dans une partie de la forêt, elle n'avait plus donné signe de vie. Des avis de recherche, un dossier de portée disparue, on a cru qu'elle avait fugué et les Goldstein en avaient étés effondrés. Ils venaient à peine de les adopter, un an tout au plus. En outre, l'état de Nikita s'était effondré, elle était malade sans arrêt, des ecchymoses apparaissaient sans raison flagrante et la pâleur de sa peau faisait penser à un cadavre ambulant. Le jour où Neïlina revint, le visage épuisé de ses parents la fit regretter d'être partie. Mais elle n'avait pas pu rester, elle ne leur a pas dit pourquoi elle était partie, elle s'est contenté de les serrer contre elle, encore plus sale et couverte de crasse que ce fameux soir de vacance hivernal.
"Nikita est à l'hôpital." avait fini par dire monsieur Goldstein.
On avait réussi à trouver le mal qui rongeait sa sœur. Les médecins avaient reçus les résultats des tests et ils n'étaient pas bon car ils décelèrent une leucémie aiguë lymphoblastique. Dans l'heure qui suivit la révélation, Neïlina fut conduite à l’hôpital pour voir Nikita.
"Neï' ?" dit la concerné quand sa sœur entra dans la chambre. Elle tente de se relever, mais ses muscles en décident autrement et elle n'y arrive pas. L'odeur de la chimiothérapie vient bouffer l'odorat de Neïlina qui n'a d'autre choix que d'admettre la mort imminente de sa sœur, elle ne le sent pas encore, ce n'est pas maintenant, mais ça arrivera. Neïlina entend les battements de cœur de sa sœur, comme si ces derniers étaient au bord de l'arrêt cardiaque
"Combien de temps ?" demande Neïlina en venant s'asseoir sur le bord du lit. Le visage de sa soeur s'assombrit et Neïlina peut voir les cernes, les traits de fatigue, ses cheveux tombés et ses sourcils presque disparus. Elle se souvient de ces jours où la brosse de Nikita était rempli de cheveux, de ces moments en sport où ses jambes tremblaient de fatigue, jamais elle n'aurait pu deviner que c'était aussi grave.
"Un mois, deux tout au plus." le visage de Neïlina se décompose alors qu'elle porte ses mains devant ses lèvres, empêchant les larmes de couler. Nikita lève la main et vient la poser sur l'avant-bras de sa jumelle
"Neïlina...c'est bon, ça va aller. Je suis prête tu sais, ils m'ont donnés plus de temps, mais je le sens...je sens que c’est pour bientôt.". Oui, Nikita sait qu'elle n'arrivera pas jusqu'à la remise de diplômes, elle sait qu'elle ne refêtera plus Noël, elle sait qu'elle n'atteindra jamais les vingt et un ans.
"Mais je suis heureuse de pouvoir te dire au revoir avant de partir, j'avais peur pour toi, je pensais que tu avais été enlevé. Tu sais, je tiens beaucoup à toi et te voir là c'est la plus belle chose que je puisse emporter avec moi" Neïlina sent son âme fondre, ses mains trembler alors qu'elle ne peut plus retenir ses larmes qui roulent sur sa joue.
"Est-ce que tu essaies de me dire au revoir ? Parce que si c'est le cas, tu ne peux pas, pas encore, pas maintenant, les médecins te donnent encore plusieurs mois." Nikita baisse le regard et prend la main de Neïlina dans la sienne.
"Je suis fatiguée Neï'...tellement fatigué' elle croit voir une larme rouler à nouveau sur la joue de sa soeur,
J'ai besoin de m'assurer que je puisse dire au revoir à chacun d'entre vous avant de partir. C'est important pour moi." "Mais pourquoi maintenant ? Pourquoi tu ne peux pas attendre encore un peu ? Pourquoi tu renonces à l'espoir ?" la malade soupire
"Je peux le sentir. Je vais mourir et je l'ai accepté. Et vous devriez en faire autant. Je n'abandonne pas l'espoir d'un miracle, je me prépare juste pour le pire" Nikita s'arrête le temps de reprendre son souffle, elle est épuisé
"« Et je ne veux pas entrevoir la possibilité de partir sans avoir dit au revoir. Parce que je pense que c'est à peu près la seule chose que je risque de regretter." Neïlina a les yeux rougis et sert la main de sa sœur dans la sienne
"D'accord...mais si c'est ta façon au revoir alors sache que magré tout ce qu'on a traversé ensemble, je tiens à toi, j'ai toujours essayé de te protéger et je t'aime" "Je t'aime aussi Neï' et saches que ma maladie n'a rien à voir avec toi, tu ne peux rien faire pour l'éviter ou la repousser à plus tard. Je veux que le moment venu tu sois prête, que tu passes au dessus de ça, je veux que tu prennes de l'avant une fois que je ne serais plus là. Promets le moi" Neïlina ravale un paquet de larme avant de serrer la main de Nikita contre son cœur
"Je te le promet."***
Ce jour-là, lorsque Neïlina entre dans la chambre d'hopital, elle sait que c'est la fin. L'odeur de Nikita a changé et la mort suinte par tout ses ports. Elle s'approche du lit où sa sœur dort, elle entend encore son cœur, et s'allonge à ses côtés. Elle enroule son corps de ses bras et pose sa tête contre la sienne. Elle sent Nikita se réveiller, doucement, douloureusement. Elle n'ouvre cependant pas les yeux et relève péniblement sa main vers celle de Neïlina qui la sert doucement contre elle. Elles ferment toutes les deux les yeux et restent ainsi pendant plusieurs heures. Neïlina ne dort pas, le rythme cardiaque de Nikita ne fait que ralentir.
"Je t'aime." marmonne la malade
"Je t'aime aussi." murmure Neïlina, la gorge nouée. Elles s'endorment et vingt minutes après que Nikita se soit ré-endormis, elle s'arrête. Neïlina sent son âme se fendre en deux, son cœur s’émietter alors qu'elle a l'impression de mourir à son tour. L'absence de pou assourdis tout autour alors que le bip récalcitrant sur les moniteurs persistent à tracer une ligne droite et sans fin.