Mon premier. Mieux vaut être mal accompagné, que souffrir de la solitude.Respire calmement. Fixe ton objectif. Regarde la cible devant toi. Ma mâchoire se crispa, mes yeux restaient figés sur le centre. Ce petit rond qui ne faisait qu'une dizaine de centimètres. Autant dire que la précision devait être de rigueur. Vingt secondes c'était le temps imparti pour décocher la flèche le plus proche du centre. En comptant quatre secondes pour que la flèche parcours les vingt cinq mètres qui nous séparait de la destination de la flèche. Beaucoup pensaient que pensant ces vingt secondes on devait vider son esprit. Se concentrer uniquement sur l'objectif. Pour ne pas trembler. Pour rester le plus impossible. Le moindre tremblement pouvait faire rater un tir en plein dans le mille. La moindre erreur et c'était échec cuisant. Mais en vrai, ma méthode, c'était le contraire. Je pensais à tout ce qui pouvait m'énerver. Tout ce que je voulais tout exploser. Pendant ces secondes pour la corde était tendue, je repensais à tout. Et je mettais tout ces sentiments dans mon tir. Je visais ce que je voulais supprimer. La cible à « abattre » en quelques sortes.
Je voulais les détester. Je voulais vraiment les détester. Mes parents. Je voulais vraiment arriver à ressentir une once de haine pour eux. Mais voilà, je n'y arrivais pas. J'avais l'impression d'avoir grandi en ne voyant que leur dos. Cette idée pouvait paraître totalement farfelue. Mais pour moi c'était une réalité. C'était image tellement vraie. J'avais plus vu le dos de mes parents. Ils partaient, tout le temps. Quand ils s'en allaient, je ne savais jamais quand ils reviendraient, ni où ils allaient. Je les voyais juste partir. Encore et encore. Sans jamais pouvoir les retenir. Grandir sans fréquenter ses parents. C'était l’impression que j'avais. Quand ils étaient là. Je côtoyais des étrangers. J'arrivais à me convaincre qu'ils étaient me parents. Même si parfois j'arrivais à en douter sérieusement. Quels genre de parents laissaient derrière eux leur fils unique ? Peut-être qu'il ne m'aimait pas dans le fond. Peut-être que j'étais ce genre de gosse arrivé par accident. Je n'avais pas été vraiment voulu. Et dans le fond c'était la meilleure explication que je pouvais trouver à leur absence. Le seul truc rationnel qui me permettait d'expliquer pourquoi ils ne restaient ps avec moi. Mes doigts tiraient la corde. Dix secondes. Toutes mes pensée se déroulaient pendant ses dix secondes. Dix secondes, c'était rapide l'air de rien. Dix secondes pendant lesquelles c'était la tornade. Puis la flèche partit.
Quand certains se défoulaient en courant, en pratiquant un sport de combat ou allant nager pendant des kilomètres. Il me suffisait de prendre mon arc, mon carquois de flèches et de faire un décompte jusqu'à vingt. C'était un peu biscornu. C'était un sport que je pratiquais depuis longtemps. Pour tout dire, depuis que j'avais dix ans même. Ma tante m'y avait initié. La première qui m'a offert un arc. Comme cadeau d'anniversaire on ne pouvait pas faire plus tordu je crois. D'ailleurs j'avais le souvenir que mes parents avaient râlé en voyant ce cadeau. Je n'ai jamais su pourquoi d'ailleurs ils avaient réagi de la sorte.
Keane! Je baissais lentement mon arc pour me retourner. Aileen. Ma tante. La sœur de ma mère. Je me tournais vers elle.
Rentre on va manger. Pour seule réponse, je la rejoins. Sans prononcer le moindre mot. Lorsque j'arrivais à sa hauteur, elle me prit la main pour me retenir.
Keane, est-ce que ça va ? Oui ça va. Je vais bien. Je vais toujours bien. Ouais, c'était toujours ça d'ailleurs. La manière dont je fonctionnais. Dire que j'allais bien. Sourire. Mais cela ne restait qu'une façade. En vrai, les choses étaient bien différentes. J'essayais d'être facile à vivre pour elle. Je savais bien que sa condition était plutôt compliquée. La raison principale était qu'Aileen était paraplégique. Et même si je la savais très autonome, j'évitais de jouer trop l'adolescent capricieux. Elle n'avait pas besoin de ça. Mais parfois, comme aujourd'hui j'avais juste envie de me taire. Alors je m'enfermais dans mon mutisme. Je tentais de me défaire de sa poigne. Mais sa crier gare, elle la renforça. Bon sang, elle avait de la force dans les bras quand elle le voulait. A croire qu'elle avait des muscles plus gros que les miens.
Keane... tu sais qu'ils vont revenir. Comment je pourrais le savoir ? Il ne me disent même pas « au revoir ». Un jour, ils ne reviendront pas. Ils reviennent toujours. Tu sais qu'ils reviendront pour toi. Si seulement. Si seulement je pouvais y croire. Mais je n'y arrivais pas. En temps normal, Aileen trouvait toujours les mots. Comme une mère aurait pu le faire. Mais sur ça, non, personne ne pouvait me rassurer. Jamais.
Mon deuxième. Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire.On a du mal à imaginer ce que ça fait que de voir un cadavre. Pourtant on en voit à la télé dans les séries policières qui passaient à la télé. On a l'impression que ça ne fera rien. Mais si ça fait quelque chose. Surtout quand on connaît la personne qui était allongée. Et vous savez ce qu'il y a de pire que de voir un cadavre ? Réponse simple. Voir deux cadavres. Deux cadavres. Ceux de ses parents même. On ne réalisait pas. On ne voulait tout simplement pas y croire. Se dire que ce n'était qu'un mauvais rêve et que dans quelques secondes on allait sûrement se réveiller. J'espérais que j'allais me réveiller. Voir ses corps froids. Sans la moindre vie. Encore, si seulement ils avaient été en bon état. Mais non. On aurait cru qu'une bête sauvage s'était attaqué à eux. Même plusieurs. Ils avaient un grand nombre de plaies traumatiques. Leur chair était déchirée par …. je-ne-sais-pas-quoi. Des crocs. Ou des griffes. Je n'étais pas vétérinaire il faut dire. Moi je ne m'occupais pas des animaux mais des humains. Enfin la seule chose que je voyais, c'était que ces blessures n'étaient franchement pas très belles. C'était même très moche. J'avais vu de choses plutôt ragoutantes dans mon métier... mais c'était la première dans toute ma vie que j'eus vraiment envie de vomir. La nausée la plus violente de toute ma vie. Peut-être que c'était un mélange entre l'étonnement, les sentiments mélangés que j'ai ressenti, le fait de voir mes parents allongés sur ces tables métalliques. Je crois même avoir vraiment vomis en fait.... Je ne sais plus trop. J'avoue que tout était encore embrouillé dans ma tête.
Ils sont morts. Tes parents sont morts, Keane. Alors quoi ? C'était ça la dernière image que j'allais avoir d'eux ? La dernière que je retiendrai ? Allongée à la morgue, nus, couverts par des enveloppes plastifiées. Plus froids que des glaçons. J'essayais de me rappeler en vain quand était la dernière fois que je les avais vu à la maison.... Et le pire. C'est que je n'y arrivais pas. Je n'arrivais même plus à me souvenir de mes parents quand ils étaient avec moi... En vie. Je restais totalement sidéré. J'ignorais comment nous étions revenus de la morgue. Je sentis une main se poser sur mon épaule puis sur mon visage. La douce chaleur me tira de mon état de quasi mort cérébrale. Mes yeux se posèrent sur le visage d'Aileen. Se rendait-elle compte de ce qu'il se passait ? Je me demandais ce qu'elle ressentais. En tout cas je la voyais bien préoccupée. Je ne savais pas vraiment ce qui était en train de se passer. J'avais a peine repris conscience que je commençais à me poser un tas de questions. La réalité qui me rattrapait bien vite.
Keane... Je la regardais, je finis par froncer les sourcils. Pourquoi avais-je le pressentiment que le ciel allait me tomber sur la tête.
Tu sais que leur mort n'est pas naturelle. J'étais choqué. Comment pouvait-elle réagir de manière aussi.... distante. Et me sortir un tel discours ?
Qu'est-ce tu veux dire? Il y a bien des choses que tes parents ne t'ont pas confiées. Alors là, je retournais en pleine sidération. J'ouvrais la bouche grand, au moins assez pour gober toutes les mouches du coin. Je me recevais une claque. Je comprenais que je ne les avais jamais connu. Mes parents. Enfin, je ne devais pas être surpris plus que ça... je les avais tellement peu vu, c'était logique dans le fond. Mais je ne pouvais m'empêcher d'avoir un pincement au cœur. Je ne savais pas si j'étais triste, déçu, choqué ? Ou peut-être que c'était tout cela en même temps. Je serais ma mâchoire pour m'empêcher d'être trop ému.
Tes parents... ils chassaient. Et quand je parle de chasse, je ne parle pas de cerf ou sanglier. Mais de vampires, de loups-garous, des créatures surnaturelles. Il étaient toujours sur les routes pour ça. Non, arrête. Te fous pas de moi. Ça n'existe pas. Elle me regarda sérieusement et finis par s'avancer vers moi. J'étais presque un peu impressionné, un peu flippé aussi. Finalement, j'avouais qu'elle avait pas une tête à rigoler.
Il y a vingt ans. Mes vertèbres en dessous de la troisième lombaires se sont fracturées. A cause d'un foutu loup-garou. Avant j'étais comme tes parents. Mais on ne peut pas chasser quand on est sur des roulettes. Le fait que je sois en vie, c'est un miracle. Alors oui. Ça existe. Et non, je rigole pas. Ah oui, en effet. A ce moment. Je savais que c'était vrai. Et ma vie venait de prendre une des tournures les plus inattendues possible. Non, ça je ne n'aurait jamais pu l'imaginer, ni le prévoir, ni rien du tout. Et voilà. Le mal était fait. Revenir en arrière ? Si seulement.
Mon troisième. Elisabeth Kübler-Ross a dit... Il y a cinq étapes pour faire son deuil. D'abord on est sous le choc, on ne se rend pas compte. On est dans le déni. Puis on comprend ce qu'il vient de se passer. On intègre la vérité. A ce moment vient la colère. On en veut à tout le monde, à soi-même. Les coupables ne sont pas punis, les autres sont encore en vie. On se déteste pour avoir été impuissant et ne rien avoir pu faire. Ensuite on marchande. On serait près à tout donner pour profiter de la personne encore une journée. On pourrait vendre jusqu'à son âme au diable s'il le fallait. Juste revoir un visage, fumer une dernière cigarette, avoir une bonne santé. Puis lorsqu'on a assez renié, qu'on s'est énervé au point de faire saigner ses phalanges. Une fois qu'on avait offert tout ce qui existait, on tombe dans la dépression. Une phase de grande tristesse ? On ne veut plus rien faire. Plus rien ne nous intéresse. Puis on a l'impression que cette phase est la plus longue. Qu'on en sortira jamais. Et puis enfin, on accepte. La blessure est cicatrisée... jamais totalement guérie dans le fond. Ces étapes n'interviennent pas de manière linéaire, après tout, chaque personne est différent en fonction de son vécu personnel. Parfois on fait une étape, on revient en arrière. Parfois l'ordre n'est pas le bon. Le deuil. Un bien grand mot. On ne pouvait pas le limité qu'à la perte d'un être cher, mais à tout ce qui était cher à notre cœur.... quelque chose, un sujet, que l'on pouvait considérer comme une partie de soi-même.
J'avais perdu en un rien de temps : mes parents ainsi que mes repères dans ma réalité. La vérité toute nue... tu parles oui. J'avais juste appris que mes parents m'avaient cachés des choses et qu'en vrai s'étaient des chasseurs de créatures qui n'existaient pas. Non vraiment... je ne savais plus où j'en étais. Je ne pouvais pas croire que cela existait. Que c'était possible. C'était des trucs qu'on ne voyait que dans les séries fantastiques. Dans la réalité... non, non ça ne pouvait pas être ça en vrai ! C'était improbable. Irréalisable. Cauchemardesque. Souvent je sentais le regard d'Aileen. C'était devenu comme une pression. J'avais parfois l'impression qu'elle s'attende à ce que je prenne les armes pour chercher la vengeance. Mais je ne pouvais pas le faire. Je ne pouvais même pas tolérer l'idée qu'un loup-garou puisse réellement exister. Alors comment pouvais-je prendre un flingue pour tirer sur tout ce qui bouge ? Non vraiment pas. Ma vie n'était plus la même. Et ma vie ne serait plus jamais la même. Je ne pouvais plus revenir en arrière.
Plus jamais. Plus jamais.
Keane ! J'te parle! Je sursautai quand cette voix me tira de mes pensées. La voix qui me forçait à revenir les pieds sur terre et je me demandais ce qui était mieux : mes pensées tortueuses, ou la réalité ou je me plongeais dans le boulot pour oublier.
'Scuse, j'avais la tête ailleurs marmonnai-je avec difficulté. La pause clope, un moment qui était détendu. On discutait. On essayait de décompresser et de laisser le travail de côté pendant une quinzaine de minutes... avant de retourner aux prises de sang, au pansements et autres médicaments... sans compter la paperasse et le pire de tout : supporter les médecin. Je regardai ma collègue, une demoiselle brune de mon age qui répondait au prénom original de Lighting.
J'ai appris pour tes parents... je... mes condoléances. Je suis désolée. C'est pas de ta faute tu sais. Un silence s'installa. Je ne pouvais pas vraiment lui parler de ce qu'avait été ma vie. Lui dire que de toute façon, l'absence de mes parents ne changeait pas vraiment du passé. Ce qui changeait, c'est qu'ils ne reviendraient pas. Avant j'avais toujours eu le secret espoir qu'ils reviennent, tout le temps. Mais cette fois... il n'y en avait plus. Je savais que j'allais resté seule. Mes parents. Santana. Personne ne reviendrait. Santana.... Pour elle aussi j'avais espéré la revoir. Mais je m'étais bien rendu compte que je n'aurai plus de nouvelles. On avait toujours des sentiments bizarres quand on pensait à sa première fois, la première fois que j'avais aimé sûrement. Et maintenant ? Plus rien. Je me surprenais à repenser à elle de la sorte. Je m'étais toujours dit que c'était une histoire passée. Et le passé, c'est le passé. Mais avec tout ce que j'avais vécu, je ne savais plus ce que je devais penser.
Tu te souviens de mes parents. Oui. Plutôt bien. Je ne les revois pas. Je n'arrive plus à me souvenir d'eux. Je ne me souviens pas de mon père qui m'engueule parce que j'avais fait un connerie. Ou ma mère qui me serre dans ses bras. Ni leurs visages souriants. Je ne me souviens de rien... Keane.... si tu veux parler.... tu... J'étais allé trop loin, j'en avais trop dit. Je finis par me lever.
Laisse tomber... Je retourne au boulot. La fuite. Classique. Du déni. Encore. Toujours. Et ça continuerai comme ça encore longtemps. C'était ça le pire.
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